CD album Delux Edition Art Schock 03, sortie 2017 présenté dans une pochette format 45T. 12 titres
01 Confused
02 Si tu passes
03 Les villes
04 Hypnose Générale
05 Made in Asile
06 Persistance & Résistance
07 Stay Alive
08 The more I see
09 Rappel
10 Derrière la porte
11 Noize Against Democracy
12 Perception du Réel (Silence contre nourriture)
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Extrait clip
Article par Eric Duboys
Cela fait six ans que Nocturne n’avait pas sorti d’album. Qu’aucune production studio n’ait vu le jour durant cette période ne signifie pas pour autant que le projet, emmené par Saphi depuis maintenant plus de deux décennies, était devenu dormant ou avait été mis entre parenthèses. Tout au contraire. Durant ce long silence discographique, Nocturne n’a en fait jamais cessé de se produire sur scène, en France et à l’étranger, en intégrant progressivement à ses performances live tout un nouveau répertoire, fruit d’une pratique quotidienne et acharnée de ses machines-instruments, conduite tel un exercice d’ascèse, et qui a vu ses compositions évoluer vers des morceaux toujours plus construits, dont la structure s’approchait de plus en plus de celles de chansons (alternance de couplets et de refrains, ponctuée de breaks). Car le grand virage opéré par Saphi au cours de ces années, pour ce qui concerne en tout cas le travail en studio, réside avant tout dans le fait que les textes (lus, déclamés, susurrés, criés ou tout bonnement hurlés) occupent désormais une place tout à fait centrale dans la plupart des titres, comme on pourra s’en rendre compte à l’écoute des douze pièces qui forment ce nouvel opus intitulé Hypnose Générale.
Autre changement de taille, Saphi sur nombre de morceaux n’est plus seul aux manettes, accompagné qu’il se voit désormais de Cécile, tenant elle aussi la voix, mais aussi le violon, autre apport essentiel qui contribue grandement à donner au son de Nocturne aujourd’hui une tonalité toute différente de celle connue sur les albums passés, moins immédiatement bruitiste, moins frontalement hostile, du moins en apparence. Le côté acéré du jeu de violon (des notes piquées plutôt que tenues, des cordes pincées manuellement plutôt que jouées à l’archet), associé aux manipulations électroniques d’une grande précision, induit en effet sur les titres les plus retenus un sentiment de tension latente, de menace sournoise, rampante, provoquant l’anxiété, l’inquiétude, voire la franche claustrophobie. Les morceaux s’appuyant sur des motifs rythmiques plus enlevés, plus énervés et rageurs, sont quant à eux d’une efficacité redoutable (« Noize against democracy », « Perception du réel » notamment, qui concluent l’album), en se refusant toutefois à toute ostentation dans le registre de l’agression sonore, tablant sur le dosage juste et nécessaire plutôt que sur l’accumulation. Si violence il y a, c’est toujours avec une certaine parcimonie qu’elle est administrée, l’impact étant d’autant plus efficient que celui-ci est très précisément ciblé et son périmètre contrôlé.
« Contrôle », c’est sans doute aussi le terme le mieux adapté à la thématique d’ensemble de Hypnose Générale, qui donne à voir un monde où tout ce qui faisait autrefois le décor (physique et psychique) de la vie des hommes a été impitoyablement dégradé, enlaidi, détruit, au profit d’une uniformisation laide et hostile, froide et mécanique, clinique et fonctionnelle, n’inspirant qu’effroi et sentiment d’isolement, de dépossession. La convergence généralisée vers le pire se manifeste désormais à tous les niveaux de l’existence. La surveillance permanente et omnipotente, le paranoïaque délire sécuritaire, la virtualisation des échanges et des rapports humains, la monétarisation de toutes les activités existantes, la fuite en avant de technologies toujours plus folles et envahissantes, l’urbanisme funéraire, entre mille autres calamités, permettent de humer le sinistre avant-goût du destin funeste vers lequel courent désespérément les sociétés dites avancées, où l’homme n’a plus sa place en tant qu’individu, n’est plus que le rouage superfétatoire et interchangeable, jetable, d’un système d’oppression, à la fois invisible et présent partout, qui vise à l’éradiquer. Le regard que porte Nocturne sur le monde tel qu’il va (ne va plus) n’est pas exactement porté par l’optimisme, et sa musique, ses textes s’en ressentent. En cela, on peut parler, avec Hypnose Générale, de « chanson réaliste industrielle », genre inédit qu’incarne à soi seul Nocturne aujourd’hui.
Eric Duboys, octobre 2017.
Éric Duboys, né en 1971, vit dans l’Ain, près de Lyon. « Les terminaisons nerveuses » est son premier roman. Auparavant, il a publié trois livres encyclopédiques sur la musique industrielle : Throbbing Gristle – Industrial music for industrial people, 2007, Industrial Musics Vol.1, 2009, Industrial Musics Vol.2, 2012 (Camion Blanc éditeur).
Chroniques :
Hypnose générale (2017, CD, Art Schock 03)
Présentations : Nocturne, Old Europa Cafe
Chroniques : Atypeek (scan) / Nocturne / dMute / Dark Entries